Profil haut: l’analyse balistique en action

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5 min readJul 21, 2021

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Par: André Desmarais

Introduction

Au printemps 2020, je me suis rendu à Conakry, en Guinée, pour présenter, en marge d’une conférence, les résultats d’une étude sur le monitoring des armes à feu en Guinée. À cette occasion, j’avais prévu de rester sur place pour dispenser à l’équipe de l’unité régionale de police scientifique de la gendarmerie un module de formation à la balistique judiciaire. La pandémie de COVID-19 en a décidé autrement, et m’a amené à donner à distance cette formation sur laquelle je reviendrai plus en détail.

Certains des bénéficiaires de cette formation ont rapidement pu mettre en pratique les connaissances acquises. En effet, dans la nuit du 15 octobre 2020, des « militaires lourdement armés » ont pris d’assaut le camp militaire guinéen de Kindia pour mettre la main sur des stocks d’armes, avant d’attaquer la prison de la ville. Ils ont abandonné sur les lieux de précieux indices : les douilles éjectées de leurs armes, qui ont fait l’objet d’analyses balistiques (source confidentielle, 2021).

Les principes fondamentaux de l’analyse des munitions

Toutes les scènes de crime recèlent une multitude d’indices matériels susceptibles de mener à la résolution des enquêtes s’ils sont « détectés et correctement manipulés ». Parmi ces éléments figurent les douilles percutées ainsi que les cartouches pour armes à feu, lesquelles constituent le cœur de cette discussion. En effet, sans munitions, pas de violence. Cette problématique a été très récemment exprimée en ces termes : « réduire les flux de munitions prive les armes à feu d’oxygène ». Pourtant, les capacités de suivi du commerce international de munitions sont très limitées, ce qui justifie que l’on s’attarde sur cette question.

Généralement, on identifie les cartouches pour armes à feu en lisant les marquages apposés sur leur culot et, dans certains cas, sur le corps de l’étui. L’enregistrement et l’analyse de ces éléments permettent de réaliser le profilage de ces munitions, soit la recherche de dénominateurs communs entre munitions semblables. Ces macroanalyses permettent de dégager des tendances locales et régionales et, ponctuellement, de résoudre des affaires criminelles si les cartouches utilisées présentent des marquages singuliers.

Le traçage, en revanche, s’appuie sur le déchiffrage de codes distinctifs qui permettent une identification précise et spécifique de la source des munitions, et notamment de leur point de détournement de la sphère légale vers les réseaux illicites.

Figure 1 : une cartouche à balle comporte habituellement un marquage frappé au culot (a). Sur certains lots de surplus figure également une codification indiquant le nom du distributeur et le calibre (b). Sur les cartouches destinées aux armes à canon lisse, la majorité des informations figure sur le corps de l’étui, contrairement au culot généralement standardisé (c ). Auteur : A. Desmarais

S’il arrive très occasionnellement qu’un marquage caractérise un lot de quelques dizaines de cartouches, ces inscriptions correspondent le plus souvent à des lots de plusieurs millions d’exemplaires. Mais, dans des contextes spécifiques, des marquages particuliers peuvent parfois permettre d’effectuer des rapprochements.

Certaines recherches menées par le Small Arms Survey dans le cadre du projet SANA ont objectivement démontré l’intérêt que revêt le profilage de munitions, intérêt que nous allons illustrer au moyen de trois exemples.

- Après avoir observé des centaines de types de munitions saisies au Niger, Savannah de Tessières a, entre autres, mis en évidence la prévalence de certains lots fabriqués dans des pays voisins, notamment celui portant le marquage « 39_1_13 » — lequel indique une fabrication soudanaise. Des munitions de ce lot ont également été répertoriées en Libye, au Mali, en République centrafricaine et en Syrie.

- Holger Anders a établi, grâce à un marquage spécifique, un lien entre des munitions observées à plusieurs reprises sur des sites d’attaques perpétrées au Mali et d’autres, utilisées spécifiquement par la Katiba Massina, un groupe d’insurgés actif localement.

- Le profilage peut aussi permettre d’analyser l’âge des munitions illicites saisies. Par exemple, les cartouches analysées dans un contexte de braconnage en République centrafricaine (dans un rapport non publié du Small Arms Survey rédigé en 2019) avaient, en moyenne, été produites en 1982. Mais, selon les données du Conflict Armament Research citées dans l’Atlas des armes, on a saisi, entre 2014 et 2017, des cartouches produites plus récemment — jusqu’en 2016 — en Somalie, et les chiffres somaliens en la matière sont « comparables à ceux que l’on peut observer dans les zones de conflit moyen-orientales ».

Figure 2 : étui percuté découvert par la police guinéenne, en avril 2019. Les marquages sont conformes à une production kirghize de l’année 2000. Auteur : A. Desmarais

Les institutions forensiques : un acteur essentiel dans ce domaine

Interlocuteurs éclairés des services judiciaires et des forces de sécurité, les services de police scientifique sont, au minimum, composés d’équipes chargées des analyses physico-chimiques, des analyses biologiques, de l’examen des documents et de la balistique. Ils peuvent aussi employer des spécialistes de la toxicologie et des traces digitales (Saferstein, 1998, p. 11–13).

Le Niger a bénéficié du soutien d’agences de coopération pour créer un laboratoire de police scientifique doté de technologies très performantes. La Guinée, pour sa part, a su tirer profit de différentes occasions pour acquérir de nouvelles capacités opérationnelles, dont la formation évoquée en introduction qui a pu être menée avec l’accord du Haut commandement de la gendarmerie guinéenne. Faute de pouvoir me déplacer et recommander l’achat des équipements indispensables à l’expertise balistique — par exemple un macro-comparateur semblable à celui utilisé au Niger –, j’ai conçu un programme qui ne nécessitait rien d’autre qu’une connexion internet opérationnelle. Cette formation de trois mois a mis l’accent sur les critères de détermination du calibre des munitions et sur l’analyse des différents marquages apposés sur les munitions. Une criminologue du Small Arms Survey a traité de la détermination des crimes et délits selon la Classification internationale des infractions à des fins statistiques, sur la base de laquelle il a été possible de créer une base de données conforme aux normes internationales. Les participants à la formation ont également été familiarisés avec le référentiel des calibres proposé par la Commission internationale pour l’épreuve des armes et des munitions. Enfin, une représentante du Programme des armes à feu d’Interpol a ouvert des perspectives d’évolution avec la plateforme IBIN.

L’équipe bénéficiaire s’est indéniablement vue renforcée dans ses acquis. Cette initiation à la balistique judiciaire peut être considérée comme une première pierre, sur laquelle les autorités guinéennes pourront construire, grâce à d’autres partenariats, une institution forensique performante.

Cet article est publié dans le cadre du projet Évaluation de la sécurité en Afrique du Nord (SANA) du Small Arms Survey, financé par le ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas.

Ce blog a pour objectif de permettre aux collaborateurs et chercheurs du Small Arms Survey de discuter de sujets relatifs aux armes légères et à la violence armée.

Cet article ne reflète pas nécessairement le point de vue du Small Arms Survey ou du gouvernement des Pays-Bas.

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